Ural State University of Architecture and Art

ISSN 1990-4126

Architecton: Proceedings of Higher Education №3 (83) September 2023

History of architecture

Dorel-Ferré Gracia

Doctora en Història,
President, Association pour le Patrimoine Industriel de Champagne-Ardenne (APIC),
Member of CILAC and TICCIH,
Research center of Catalonia Science and Technology Museum (Terrassa, Barcelona, Spain),
UNESCO consultant
France, Reims, e-mail: gracia.dorel@gmail.com

 

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Workers’ settlements and factory cities in the 20th century: evolution of ideas and implementation in world practice

УДК: 72.03
DOI: 10.47055/19904126_2023_3(83)_11

Abstract

The article presents the results of a large-scale study of workers' settlements and such formations as a factory city and a garden city at the beginning of the 20th century in Europe and in the Urals. The grounds for the creation of workers' settlements at industrial enterprises are revealed, ranging from the initiative of philanthropists and owners of enterprises to the mandatory housing developments around production facilities. The social policy of the owners of factories (private and public) is shown, which accounts for the diverse and specialized architecture of the settlements. The inclusion of the considered objects in the list of historical monuments is an important fact for the history of architecture of the period of industrial development of Europe.

Keywords: workers’ village, factory-city, garden-city, railroad city, regular city, social housing, socio-spatial segregation

La longue histoire du village ouvrier et de la ville usine s’accélère au cours du XXe siècle. D’une part, la IIe révolution industrielle, fondée sur une nouvelle énergie et des matériaux et des techniques nouvelles, provoque une croissance économique jamais vue jusque-là ; d’autre part, les événements majeurs que sont les deux les guerres mondiales et la révolution russe mettent au premier plan les revendications sociales. La période, pour ce qui concerne notre sujet, est donc sous-tendue par ces deux lignes de force : d’une part, l’industrie emploie désormais le béton associé au verre et au fer, ce qui permet le préfabriqué et la fabrication en série ; d’autre part, la dimension sociale cesse d’être l’apanage d’un petit nombre de réalisations philanthropiques pour devenir un prérequis à toute installation industrielle. Ces deux dimensions seront diversement prises en compte, bien sûr, sous l’impact d’une troisième ligne de force qui se dégage rapidement au cours des années 20 : l’influence du modèle fordiste, fondé sur la standardisation et la répétition des modules.

Une périodisation peut être mise en place, suivant trois grands moments qui se recouvrent en partie : dans le premier (1918-1939), le mouvement des cités jardins, né en Angleterre, est adopté en Europe occidentale et en Amérique du Nord, alors que le modèle américain s’impose face aux principes esthétiques et sociaux développés par le Bauhaus . C’est là que se place, en France, la construction des cités de cheminots de la Compagnie du Nord. Le deuxième (1930-1975) bien que caractérisé par la croissance urbaine et la prolifération de « cités » pour loger les masses, voit se poursuivre, en Europe occidentale, la construction de villages ouvriers et de villes-usines nées dans les années 30, sous la double filiation de la cité-jardin et de la cité industrielle. L’Espagne tente de rattraper son retard en construisant des villages ouvriers prudemment inspirés des expériences précédentes. De son côté, la Russie, qui s’industrialise à marches forcées, se lance, elle, dans la construction de villes-usines de grandes tailles . Le Japon fait de même, et passe, en moins de cinquante ans, de Tomioka , inspirée par les usines à soie lyonnaises à Toyota, autre cité fordiste. Enfin, le troisième temps, à partir de 1975, voit l’effondrement du modèle qui associe lieu de travail et lieu de vie, une évolution déjà amorcée pendant la période précédente, avec la généralisation de la voiture individuelle. On ne construit plus des villes-usines sinon dans des conditions extrêmes (dans le nord sibérien par exemple, mais aussi au Canada et en Alaska) qui sont abandonnées dès que l’exploitation n’est plus rentable ; on loge les cadres sur les plates-formes pétrolières ; on construit des hôtels d’altitude pour les mineurs du cuivre chilien, comme on verra plus loin.

Au total, le XXe siècle est probablement celui où l’on a construit le plus grand nombre de villes-usines et villages ouvriers. Leur construction, en béton et panneaux préfabriqués, aboutit à une physionomie d’ensemble et des typologies d’habitat nouvelles, tout en se situant dans une filiation claire, en ce qui concerne la répartition dans l’espace des lieux de vie, des lieux de production et des lieux de services et loisirs. Par contre, alors qu’au XIXe siècle, les stratifications professionnelles étaient à peine visibles dans l’espace, la diversification de l’encadrement dans les usines et la place des ingénieurs se traduit dans la cité par une ségrégation plus ou moins voyante, et dans le plan des logements qui leur sont attribués, par des espaces dédiés, indicateurs de confort et de bien-être ; quant à l’encadrement social, souvent ambitieux, il a été une vraie nouveauté dans les années 30, mais il faut toutefois le pondérer : les villes et les communes suburbaines des années 30 fournissent des services équivalents en termes de santé, de culture et de loisirs. Par contre, après la Deuxième Guerre mondiale, la prise en main quasi exclusive, par les Etats de ces domaines vide le programme social des villages ouvriers et des villes-usines de tout son sens et contribue à leur lente agonie.

Il faut toutefois remonter un peu dans le temps pour comprendre l’originalité du XXe siècle. L’Exposition Universelle de 1867 consacrée, à la demande de Napoléon III, au logement ouvrier, avait démontré, en creux, la pauvreté des réalisations faites jusque-là. Seule, la cité de Mulhouse des entrepreneurs Dolffus, Mieg et Compagnie (DMC), dont la construction commence dans les années 1840 retient l’attention et se caractérise par des groupes de maisons adossées par deux ou par quatre, disposant chacune d’un jardinet . Le Familistère de Guise était absent de la manifestation car il ne devait être terminé que quatre ans plus tard. Le plus grand nombre des logements construits au XIXe siècle sont postérieurs à 1873, date à laquelle Engels dénonce avec virulence la politique du logement des industriels. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, quelques patrons philanthropes construisirent des cités bien équipées et parfois très esthétiques, comme en France la cité Menier à Noisiel et en Grande Bretagne, Port Sunlight, près de Manchester ou Saltaire, près de Bradford. Mais les vrais débuts d’une politique du logement datent de la fin du XIXe siècle, lorsqu’après l’Exposition universelle de 1889, on décide la création d’une association qui allait devenir les HBM (Habitat bon marché). Son champ d’action concernait surtout la ville où l’immense masse ouvrière vivait dans des conditions indignes, dont témoignent la littérature ou les enquêtes.

1. L’adoption de la cité-jardin, une rupture totale

En cette fin de siècle, les cités ouvrières restent à l’initiative du patron, et sont sa propriété. La logique spatiale est manifeste : dans une cité ouvrière, les espaces de vie, les espaces de travail, les espaces collectifs sont situés les uns par rapport aux autres, de façon cohérente, compte tenu du site, de ses accès et du système de communications qui dessert l’entreprise. Alors que les débuts de l’industrie avaient vu la création de villages ouvriers intégrés dans un cercle ou un demi-cercle, figure idéale s’il en est , la majeure partie du XIXe siècle construit suivant des lignes géométriques (en rang, rectangle ou carré), plus pratiques. Les maisons ouvrières sont identiques. Seul logement vraiment distinct, qui peut être sobre ou un véritable château, celui du patron. L’ensemble est organisé compte tenu des impératifs techniques : emplacement de la mine ou de la source d’énergie ; proximité du chemin de fer. Une certaine répartition professionnelle est visible, sans que l’on puisse parler de ségrégation : parfois, les maisons qui font l’angle des rues sont affectées aux contremaîtres, une façon de contrôler le quartier ; ou encore les logements les plus proches de l’usine sont attribués à la maintenance, pour plus d’efficacité…Les quelques services fournis par l’entreprise sont proches des maisons, sans que leur architecture les distingue : café (ou lieu de réunion), coopérative, bien sûr, mais aussi lavoir et dans le meilleur des cas, dispensaire. La formation professionnelle auprès des jeunes ouvriers est parfois présente, comme prolongement de l’école. L’église est un repère omniprésent, mais d’importance physionomique variable, suivant la religion des ouvriers ; en pays protestants, l’église est modeste ; en pays catholiques, l’église est de grande taille et domine la cité conjointement avec la maison patronale. A Tempere, la protestante finlandaise ou à Lodz la catholique polonaise, on trouvera aussi cette distinction. Lorsque le patronat n’est pas de la même confession que les ouvriers, une sorte de modus vivendi est adopté par l’entreprise. Ainsi, dans les villes-usines de la Nouvelle-Angleterre, comme Lowell, dont les ouvriers sont d’origine canadienne et catholiques, l’église catholique, modeste, se fond dans le quartier ouvrier, alors que l’encadrement, protestant, dispose de son temple, généralement modeste, lui aussi.


Dia.1. Colònia Sedó (Espagne années 1880). Mairie d'Esparreguera


Dia. 2. Le plan de la cité de Diosgyor (Hongrie, 1910). Publié par Olajos Csaba, Miskolc, 1998

Si en ce début du XXe siècle la morphologie du village ouvrier n’a pas beaucoup varié, les modes de constructions commencent à intégrer des techniques différentes et l’emploi du béton. C’est le cas de la Colonia Sedó d’Esparreguera dont l’église en particulier, est construite en béton Monier (l’autre grand producteur français, déclassé à la fin par Hennebique). Les plans géométriques, généralement adoptés au XIXe siècle, semblent avoir été les choix des architectes de l’Europe centrale, qui s’y tiennent même après la Ière guerre mondiale. Si on prend l’exemple d’un des villages industriels hongrois les plus aboutis, Diósgőr, le plan de 1910 est orthogonal, fait de rangées de maisons mitoyennes ; les services n’ont pas de situation particulière dans l’espace et aucune architecture particulière en rend compte. On installe tout simplement la coopérative ou la boucherie dans des locaux existants.

Le bilan est donc peu encourageant : le legs du XIXe siècle, en matière de logement ouvrier, ressemble à une mer démontée d’où surnagent des ilots qui seraient les villages ouvriers d’initiative patronale. Ils sont peu nombreux . Seule une toute petite partie des ouvriers est concernée, ce qui facilite la création d’une aristocratie ouvrière plutôt jalousée et vilipendée. N’oublions pas que l’offre du logement par le patron est vue depuis longtemps comme le moyen de diviser les ouvriers et d’acheter leur conduite .


Dia. 3. Le projet de cité-jardin de Schio (Italie). Archives historiques Rossi, 1872


Dia. 4. La cité Malagrida de Olot. (Espagne, 1925). ACGAX

Ce n’est d’ailleurs pas du village ouvrier que part la critique la plus connue, mais de la ville, avec Ebenezer Howard. Quand il propose son concept de cité-jardin, en 1898, il n’est pas le seul à avoir eu cette idée et surtout, il n’est pas le premier (projet de Schio, 1872). Mais il arrive au bon moment, et son ouvrage a un réel impact. Par contre les réalisations qui s’en inspirent n’ont rien à voir avec le projet initial, qui est une proposition de désengorgement des villes, par l’implantation de villes-satellites à caractère artisanal et rural…. Parmi les premières et infidèles cités-jardins : Letchworth (1903), près de Londres, Margaretenhohe (1913), près d’Essen. Une curiosité : la cité-jardin Maladriga, d’Olot, dans l’arrière-pays de Gérone (1920), construit par un entrepreneur catalan qui avait fait fortune à Buenos Aires dans les allumettes. Le Logis-Floréal (1922) en Belgique, est un peu plus récent. Toutes ont en commun d’être des créations périphériques à la ville, construites en matériaux industriels préfabriqués, dans un cadre de verdure et suivant des plans en courbes. Cependant, il s’agit rarement de cités ouvrières à proprement parler. Certaines logent des employés de bureau, des agents de la maintenance, d’autres, des cadres moyens et supérieurs, d’autres encore des manœuvres qui travaillent dans différentes entreprises. Il faut donc distinguer les deux catégories, l’une, la cité-jardin mono-active, est attachée à l’usine qui emploie la totalité des familles résidentes ; l’autre, la cité-jardin pluri-catégorielle et suburbaine, dépend de plusieurs employeurs. Une dernière caractéristique est à prendre en compte : le type de familles accueillies. Elles sont très souvent (car prioritaires) des familles nombreuses. La cité-jardin peut apparaître alors comme une facette du logement social.

Des différences vont pourtant apparaître, dans les villages ouvriers et les villes-usines écartées des agglomérations. Le plan en courbes, où domine la verdure, protège la vie privée, mais il permet aussi de varier les modèles de maisons, et partant, d’introduire des catégories. Les bénéficiaires sont les directeurs, les cadres de l’administration, et les ingénieurs qui vivent près de l’entreprise et à qui on construit des maisons plus spacieuses. Parfois les villages-ouvriers se sont développés sur une période suffisamment longue pour avoir des traits issus de modèles pratiqués au XIXe siècle et d’autres, empruntés aux cités-jardins. On en a un exemple frappant décrit dans Ugine , où, près de la centrale électrique, le « phalanstère » est habité par les ouvriers modestes alors que la cité-jardin, plus éloignée, est l’espace réservé aux ingénieurs. L’étude de la mise en application de la cité jardin dans les autres continents fournit d’autres cas de ségrégation sociale, que la forme de la cité-jardin semble faciliter. Ainsi, une hiérarchie sociale apparente vient combler un vide : l’éloignement physique du patron, qui était dans la période précédente un personnage familier et présent. Cette évolution est rendue sensible devant la multiplication des villages et des villes à initiative non plus d’une seule personne (le patron) mais de structures plus floues, qu’on identifie moins, les « compagnies ». Il en va de même des Etats-patrons comme peut l’être l’Italie Fasciste mais aussi des démocraties pour un secteur donné.

Les cités jardins restent- pour celles qui ont été conservées dans de bonnes conditions- une réalisation spectaculaire. En France, l’œuvre de Raoul Dautry et l’ensemble des cités de cheminots de la Compagnie du Nord, sur laquelle on reviendra, reste paradigmatique. Le célèbre Chemin Vert de Reims, créé à la Reconstruction pour loger en priorité les familles ouvrières des maisons de champagne et de la verrerie voisine, est une cité-jardin qui a bénéficié d’une restauration de bon aloi, avec ses monuments que sont la Maison Commune et l’église Saint Nicaise, où une pléiade d’artistes de l’Art Déco sont intervenus . Elle se trouve dans l’une des zones qui a été sélectionnée par la candidature des Coteaux, maisons et caves du champagne, inscrits au patrimoine mondial en 2015. Le bassin du Nord-Pas de Calais l’avait précédé, puisqu’il est inscrit au patrimoine mondial depuis 2012, est pour sa part un vrai répertoire du logement ouvrier, depuis le coron jusqu’à la cité pavillonnaire. Près de 10% des logements sont des cités jardins, qui datent des années 30. Au total, on le voit, le concept est célébré, mais ses réalisations restent peu nombreuses.

2. Une politique socio-spatiale intégrale : les cités de cheminots

Avec la fin de la Première guerre mondiale, la question sociale est à l’ordre du jour. L’aide aux régions dévastées par des philanthropes américains installés au château de Blérancourt, dans l’Aisne, concerne l’alimentation, mais aussi l’hygiène, l’enseignement, voire la culture pour tous ces déshérités. Des villes reçoivent de généreuses contributions des sociétés charitables et francophiles des Etats-Unis (Reims, Saint Quentin). La population ne comprendrait pas que les institutions nationales fassent moins d’efforts que les secourables américains. Pour cela, il faut remettre l’économie en marche. Or toutes les infrastructures ont été touchée, les usines détruites, murs et machines, et bien que le gouvernement freine le retour chez eux des populations évacuées dans le sud de la France, une infinité de familles sont sans abri. Les ouvriers réclament la journée de 8h et tendent l’oreille vers ce qui se passe dans la Russie révolutionnaire. A tous les échelons de l’Etat, il apparaît clairement qu’après une guerre terrible et dans un contexte politique agité, il faut faire des efforts dans le domaine social.

Parmi les urgences les plus prégnantes, il est vital de relier à nouveau Paris et le bassin minier du Nord. La Compagnie des Chemins de fer du Nord, qui appartient aux Rothschild, donne à Raoul Dautry, jeune et brillant polytechnicien, la mission de mener à bien la remise sur pied du réseau. Cela veut dire reconstruire les lignes de chemin de fer et les gares mais aussi créer des cités pour les cheminots chargés de l’entretien du matériel roulant et des voies. L’expérience de Dautry mérite que l’on s’y arrête : il choisit de reconstituer le réseau suivant un maillage dont les nœuds seraient des cités ouvrières savamment hiérarchisées dans leur emplacement et leur rôle. Il retient le concept de la cité-jardin pour ses villages ouvriers, et l’applique à l’ensemble du réseau. Les principes d’organisation de ces cités de cheminots ont immédiatement suscité les plus grands éloges. De nombreuses publications en ont rendu compte, dont le célèbre magazine L’Illustration, en 1927.


Dia. 5. La gare et la cité ferroviaire de Laon. (France, années 1920). Archives départementales de Laon

Comment a-t-on construit ces cités, ex-nihilo ? En premier lieu, il a fallu choisir les terrains et les acheter. Dans la mesure du possible, on a choisi des terrains légèrement en pente pour faciliter l’évacuation des eaux et assurer un drainage suffisant pour éviter l’humidité. Il fallait évidemment que ces terrains soient proches de la gare, mais pas trop, afin que les employés se sentent libérés de leurs contraintes professionnelles. Parfois, un simple pont reliait la ville aux voies de chemin de fer où se trouvaient les ateliers ou les dépôts. C’est le cas de la cité ferroviaire de Laon, construite sur des terrains situés au nord de la gare qu’il fallut aplanir et assainir. Elle se compose de 215 maisons en dur et de 346 maisons en bois, provisoires. Les célibataires occupent 148 logements individuels près des voies. Bien que différents architectes fussent engagés, le module de base est toujours le même. Simplement, plus le grade est élevé, plus grande et mieux équipée est la maison. La plus petite, même mitoyenne, comprend toujours une cuisine, une salle à manger et deux chambres. Elle dispose d’eau, de tout à l’égout, d’électricité. Les chambres sont séparées (enfants, parents). Toutes les maisons sont bien aérées et ventilées.

Les maisons des cadres et les ingénieurs ont plus de chambres, un salon, une salle de bain... mais le plus modeste employé de la Compagne peut vivre dans un foyer moderne équipé et commode. Les maisons étaient assignées en priorité au personnel de la Compagnie, maintenance et cadres, et personnel responsable du site. Ensuite on les distribuait prioritairement aux familles nombreuses. C’étaient évidemment des maisons louées car, disent les textes, la cité de cheminots était conçue pour le service et non pour la sédentarisation abusive de ses occupants. Chaque maison était associée à un jardin, qui était cultivé comme complément alimentaire mais aussi pour les fleurs. L’entretien des maisons et des jardins était valorisé et tous les ans des prix récompensaient les locataires les plus méritants, ce qui constituait un élément de dynamisation non négligeable.

Dautry justifie ses conceptions de la façon suivante : il faut, dit-il, non seulement maintenir une distance entre la ville, ses cafés et ses désordres et la cité ouvrière, mais aussi s’éloigner le plus possible du modèle des « corons » si fréquents dans le nord, d’une uniformisation désolante. Il reconnaît volontiers qu’il prévoit pour sa part des maisons de tailles différentes pour des bénéficiaires de statut différent mais il s’agit pour lui de répartir les cadres au sein même de la cité ouvrière. C’est selon lui le meilleur moyen de couper à toute lutte de classe. Mais au-delà de la conception physionomique de la cité, il y a aussi son fonctionnement : Dautry repousse l’idée d’une administration par la Compagnie. Les employés doivent s’administrer eux-mêmes. A l’inverse, il ne s’agit pas de créer un phalanstère à la discipline rigoureuse mais faciliter la vie familiale « loin des luttes politiques et des rivalités d’intérêts. » Y a-t-il eu cependant une vraie mixité sociale ? A bien y regarder, si la cité mélange employés et cadres moyens, on constate, sur le plan de la cité de Laon, à l’écart, trois ensembles de petites maisons très simples pour les ouvriers occupés de la maintenance de la voie. Les logements pour célibataires, une population toujours un peu difficile à contenir, sont logés loin de la cité. On place donc en périphérie ceux qui poseraient des problèmes ou que les différences sociales accentuées risqueraient de semer le désordre. Quant au directeur et au sous -directeur de la station, ils vivent de l’autre côté des voies, dans des maisons luxueuses. Dautry s’en est expliqué : il ne souhaitait pas que le directeur risque de perdre son autorité par des relations de voisinage inappropriées.

Dia. 6. Le plan de la  cité ferroviaire de Tergnier  (Revue l'Illustration, 1927)

La cité ferroviaire la plus aboutie, la plus emblématique est sans conteste celle de Tergnier, malheureusement très endommagée pendant la Deuxième guerre mondiale. Conçue à partir d’un plan formant trois roues, elle concentre les services dans la roue centrale, suivant une distribution sexo-spatiale assez révélatrice : pour les hommes, l’école, depuis la garderie jusqu’au centre d’apprentissage, les sports, le bricolage, l’école de jardinerie (pour les légumes) et le poulailler. Pour les femmes, l’école mais aussi l’enseignement ménager, la broderie et autres travaux manuels, le jardin de fleurs et le soin des enfants et des malades. L’hygiène joue un rôle important (bains et douches) et l’on note la présence des infirmières, du médecin et du pharmacien. Le village dispose de boulangerie, économat, abattoir, mais aussi de poste, un kiosque à musique et un lieu de réunion pour des assemblées et des réunions amicales. Enfin, notons que cette distribution sexo-spatiale se double d’une distribution socio-spatiale : les ouvriers de la maintenance habitent un peu à l’écart, tout près des voies, dans un secteur moins prisé, plus rude. En 1923, les chiffres publiés au journal officiel fournissent un bilan impressionnant pour la seule Compagnie du Nord : 32 cités ouvrières réunissent à cette date 10 000 foyers et plus de 31 000 habitants. Mais les auteurs de cette œuvre gigantesque, réalisée en moins de 5 ans, se félicitent surtout d’avoir su mettre en place une vraie culture d’entreprise.

C’est ainsi que la cité de cheminots est gouvernée par un Comité de gestion et un Conseil de direction. Ce sont eux qui exécutent et développent la plupart des services disponibles pour les habitants. Un représentant du réseau est responsable de la cité et de son bon fonctionnement. Les cités disposaient non seulement d’un équipement sophistiqué mais les édifices qui les portaient (écoles, économats, coopératives) étaient d’une architecture soignée, ce qui montre à quel point les cheminots leur accordaient de sens. Deux domaines sont particulièrement développés : la culture et la santé. La bibliothèque est dans un lieu central ; il y a des librairies et des kiosques de presse. Le cinéma est aussi un vecteur essentiel de culture, tout comme le théâtre et les organisations culturelles qui réunissent tous les habitants de la cité.

Le secteur santé est essentiel pour la Compagnie. La profession de cheminot, que ce soit au dépôt ou aux ateliers, est sale et contagieuse. On fait donc tous les efforts pour contrer les effets négatifs. L’assistance sociale joue un rôle déterminant : il faut éduquer les familles à une bonne hygiène, facteur fondamental pour la prévention des maladies. Des subsides sont donnés par charge de famille ou pour les naissances. On organise des consultations prénatales et pour les enfants ; des « gouttes de lait » et des jardins d’enfants complètent les services de santé publique et pour les enfants. Dans les jardins d’enfants, on pratique la pédagogie de Montessori et de Decroly, autre signe de modernité et d’engagement pour le développement de la personne. Une éducation à l’air libre, au sport est complétée par les colonies de vacances d’été, organisées à l’initiative de la Compagnie.

A la cité de Laon, pour laquelle nous sommes bien informés, un Comité de gestion de 10 membres gère la cité. Le président est l’ingénieur en chef de la voie. Une école accueille les enfants, avec 5 classes pour les garçons et 4 pour les filles et 4 autres encore pour les petits. Les installations sont spacieuses et lumineuses, avec de grandes cours fermées, lavabos à eau courante, chauffage et baignoires pour les bébés. Cependant, la discrimination est sensible entre les garçons et les filles. Des cours pratiques sont ouverts aux garçons en dessin, géométrie, travail du fer et du bois, reliure, modelage, TSF, jardinage, alors que pour filles le choix se résume à l’enseignement ménager, la coupe et la couture. Il est clair que chez les cheminots, les femmes étaient avant tout de bonnes maitresses de maison. La cité jouit d’un nombre infini d’équipements : douches, service médical, coopératives, salle de réunion où l’on répète la musique, grand stade, salle de spectacles, bibliothèque. Toutes ces installations abritent de nombreuses associations. En 1920, l’Union musicale des cheminots, à Laon, comptait 64 musiciens et 18 élèves. L’association sportive des cheminots comptait une centaine de membres ; il y avait aussi la Fraternelle des cheminots, pour la gymnastique, avec sa section féminine ; le Groupe lyrique et artistique, etc…Travailler et vivre au même endroit donnait aux cheminots le sentiment d’une culture partagée. Il est évident que dans la décade de 1930, leur sens du métier et les avantages extraordinaires dont ils jouissaient, comparé à d’autres catégories professionnelles, avait fait des cheminots, l’élite de la classe ouvrière. Chaque cité de cheminots était considérée comme un monde à part, un monde privilégié.

Sans doute d’autres comparaisons, avec d’autres entreprises, permettraient de nuancer cette affirmation. Ainsi, la comparaison avec de vraies villes-usines que sont Saint Gobain , site éponyme de la grande firme, dans l’Aisne, ou encore Mouzon dans les Ardennes que l’on appelle Sommerville car la toute puissante famille Sommer y règne en maître, les mesures sociales sont nombreuses mais cependant, la gestion du site n’est pas entre les mains des habitants. A Mouzon, les salaires sont élevés, et à la période suivante on mettra en place un intéressement à l’entreprise dont le président de Gaulle fera son modèle…Par contre, dans les deux cas, le plan des cités et l’architecture des maisons reste dans la tradition la plus totale. On peut faire l’hypothèse que les architectures recherchées et esthétiques relevant de la cité-jardin se sont accompagnées de mesures sociales souvent raffinées. C’est le cas pour les villages philanthropiques anglais (Saltaire, Bournville, Port Sunlight) comme dans les cités de cheminots cités ci-dessus. Alors que l’architecture régulière et peu fantaisiste aurait induit l’ordre et la discipline.

3. Les villes régulières, le rétablissement d’un ordre

La cité-jardin est abolie en 1939 par la Charte d’Athènes, qui la trouve trop dispendieuse. Mais déjà les années 20 du XXe siècle ont progressivement fait place à un mode de construction qui prétend s’inspirer du fordisme, dont certains entrepreneurs, Bata ou Olivetti, ont eu connaissance sur place. A partir des années 30, les principes du fordisme et du taylorisme (parcellisation des tâches, travail à la chaîne, cadences.) sont largement adoptés par les industriels français. René Clair en fera une critique dans « A nous la liberté », en 1931, avec des thèmes qui seront repris par Charlie Chaplin dans « Les temps modernes », en 1934. Une forme esthétique nouvelle accompagne cette évolution, rendue célèbre par l’exposition de 1925 , celle de l’Art Déco. On abandonne le style régionaliste ou historique. Les lignes sont simplifiées, le superflu est pris en horreur, les matériaux choisis, qui correspondent le mieux aux exigences de l’industrie et aux nouvelles options esthétiques sont le béton, le fer et le verre. Ces choix rejoignent ceux du Bauhaus, dont les principaux responsables militent pour une architecture sobre et fonctionnelle. La Russie communiste développe, parallèlement, le style constructiviste, qu’on redécouvre aujourd’hui . En Europe occidentale et aux Etats-Unis, un style « international » se forme. Directement issu de l’Art Déco, il sera la référence de tout le XXe siècle.


Dia. 7. La cité d'Ivrea, vue partielle. (Italie, années 1930)


Dia. 8. Llaranes, l'école et la cité (Espagne, années 1950)

Bata, en Lorraine, comme Zlin avant lui, et Olivetti à Ivrea, mais avec un soupçon de fantaisie, importent les critères fordistes, qu’ils ont admiré aux Etats-Unis. Le plan choisi abandonne désormais la courbe pour se cantonner à la ligne droite. Plus rien n’évoque la cité-jardin et ses frondaisons paresseuses. Les plans sont orthogonaux, comme par le passé, les espaces bien identifiés, distinguent les aires de travail, d’habitat, de loisir. Par contre, l’architecture s’empare de ce mode d’expression : sa monumentalité convient aux grands édifices. L’Italie fasciste adopte les plans réguliers et les espaces hiérarchisés, structurés par des édifices monumentaux pour les bâtiments de l’usine et les services collectifs. Ce sont des manifestes grandiloquents de l’Art Déco mais dans une hiérarchie subtile où s’affirme le pouvoir patronal, qu’il s’agisse d’entreprises privée comme, en Italie du Nord, Dalmine, Ivrea (ce dernier entré récemment au patrimoine mondial), ou encore Valdagno, ou qu’il s’agisse d’une création de l’Etat, comme Carbonia en Sardaigne. … En Russie soviétique, les villes-usines édifiées au début des années 1930 , présentent des plans en patte d’oie, dont le centre est la maison de la culture, toujours monumentale ; les rues, bordées d’immeubles, sont arborées et les espaces verts nombreux. Il s’agit de mettre en place un maillage de villes face à un pays encore majoritairement agricole. C’est aussi une manière d’exprimer et mettre en scène le pouvoir central : ici les villes-usines sont des structures d’Etat. Cependant, quelle que soit la forme adoptée, le mode de construction (priorité au béton et au préfabriqué) est la marque et se prolonge tout au long du siècle. Il faut attendre la fin du XXe siècle pour que l’application de l’électronique à la construction amorce une nouvelle époque, mais cela ne concerne déjà plus les cités jardins et les villes-usines.

La guerre de 39-45 n’est pas une rupture pour toutes ces villes régulières. Souvent la construction a démarré dans les années 30, comme pour Bata, Ivrea ou encore Eindhoven, et s’est poursuivie après le conflit mondial. Tous les pays n’ont pas évolué au même rythme, témoins, pour des raisons différentes, l’Espagne franquiste et l’Union soviétique qui poursuivent, pendant les années 50, la construction de nombreux villages industriels et nombreuses villes industrielles mono-actives.


Dia. 9a. Ouralmash, st. Kirovgradskaya, maisons pour ouvriers. (Sverdlovsk, Russie, années 1950).
Source : VK Екатеринбург. ​Заметки​ горожанина Екатеринбург–Свердловск.  Sélection env. 1900-1955


Dia. 9b. Sverdlovsk. Uralmash, maisons des ingénieurs et de l'administration, 1948-1952.
Source : VK Екатеринбург. ​Заметки​ горожанина Екатеринбург–Свердловск.  Sélection env. 1900-1955

En Espagne, l’architecture des villages ouvriers est rigoureusement dans le fil des années 1930 : ce sont des ensembles géométriques, à côté de l’usine ou de la centrale, ou encore près du silo. Les maisons sont alignées autour de la place dominée par l’église et l’école. Un soin particulier est apporté à cette dernière, comme c’est le cas de la petite ville ouvrière de Llanares dans les Asturies, la plus ambitieuse dans son projet et la mieux conservée à ce jour. Mais dans leur ensemble, et bien que se réclamant des cités-jardins, les villages de la période fasciste n’ont intégré aucune innovation architecturale. La ségrégation socio-spatiale est la règle : les ouvriers de Llanares sont logés dans les immeubles, les contremaîtres dans les petites maisons avec jardin, et la direction habite les beaux logements qui lui correspondent dans la ville voisine d’Avilés. Une multitude d’associations de toutes sortes rassemble les habitants pour les loisirs ; écoles de filles et de garçons sont tenues par des religieuses et des religieux, la santé n’est pas oubliée.

Pas d’innovation architecturale spectaculaire non plus pour les 500 villes-usines russes, dont la célèbre Togliatti, la ville de l’automobile, et pour les villes construites dans les pays satellites en tant que vitrines du monde soviétique . En Hongrie, les aciéries de Dunaújváros sont toujours en activité alors qu’en Pologne, celles de Nowa Huta ont fermé. Après un temps d’hésitation, les polonais ont décidé de récupérer ce patrimoine urbain dont les qualités de vie sont réelles. Le module de base de la ville-usine est un carré incomplet de maisons enserrant un espace vert. Ce module se répète à l’infini, laissant la place pour les boutiques du bord des rues, pour l’économat ou encore pour le restaurant de quartier. Ce module n’est pas spécifique à la ville-usine, mais les villes-usines ont toutes été bâties sur cette base-là. Aussi la ville soviétique est-elle facilement identifiable. Largement pourvue de tous les services souhaitables, « on y vit comme à Moscou », dit-on.

4. Habiter un lieu de travail ?

Après la Deuxième guerre mondiale, pourtant, la situation change. En France et en Angleterre, la politique sociale n’est plus le fait des entreprises, mais de l’Etat qui, bien qu’en présence d’un secteur privé important, assure désormais l’essentiel de l’éducation, la santé, la culture. Les villages ouvriers et les villes-usines voient se tarir une partie de leurs compétences. Dans le cas des cités de cheminots, leur fonctionnement perdure, du fait de la gestion locale et de l’adhésion de la société cheminote à leur modèle de cité. Mais à partir des années 1960, la SNCF vend progressivement son parc immobilier et le système disparaît, sans que des mesures d’ensemble succèdent au comité de gestion antérieur.

D’une façon générale, se dessaisir de son patrimoine immobilier est une mesure adoptée presque partout par les entreprises, pour éviter d’immobiliser trop longtemps leurs actifs, d’autant que les villages ouvriers commencent à perdre de la population. Soit que l’on préfère habiter ailleurs et prendre la voiture individuelle pour aller travailler, soit que l’on aille chercher du travail ailleurs. De plus, habiter sur le lieu du travail suppose, d’une façon ou d’une autre, alimenter les problèmes de voisinage avec les conflits du travail, et inversement. A partir des années 1970, bon nombre d’industriels repoussent l’idée « d’être également des maires » et souhaitent séparer lieu de travail et lieu de vie.

Quand les grandes désindustrialisations du dernier tiers du XXe siècles frappent l’économie occidentale, les villages ouvriers et les villes-usines, liés à des usines qui ferment, subissent des sorts divers : désertés partiellement, suivant les reconversions possibles dans l’environnement immédiat, désertés totalement, parfois, réinvestis par une population différente. C’est ce qui s’est passé à Einhoven, où deux grandes entreprises se partageaient l’immobilier : Philips et Daf. Se dessaisir de leur patrimoine immobilier n’allait pas de soi, car il ne fallait pas que cela soit compris comme un recul de deux firmes. La politique suivie par Philips, en particulier, a été prudente, progressive et exemplaire. En effet, son désengagement a été toujours suivi d’une mise en valeur telle que la mémoire du site était conservée mais que des activités diverses occupaient les lieux, en leur conservant leur dynamique. Témoin le quartier de Witte Dorp, dont la construction a commencé à la fin des années 30 pour la main-d’œuvre catholique de Philips et dont l’entreprise s’est séparé dans les années 60. C’est aujourd’hui un quartier très convoité de la ville, qui a conservé les infrastructures créées par la firme, dont les écoles, les espaces de jeu et les installations sportives.

Il faut donc chercher à l’extérieur de l’Europe occidentale les éléments d’une évolution ou d’un changement dans la nature du village ouvrier et de la ville usine. Quelques exemples, au Chili et en Russie sibérienne, nous montrent ce qu’il en est.


Dia. 10. L'hotel minier de Dona Inés de Collahuasi, années 2000 (Agence Correa3, Chili)

Au Chili, Chuquicamata, dans le désert d’Atacama, géré par la structure d’Etat CODELCO, a été le village de la mine de cuivre à ciel ouvert la plus grande du monde et l’extension de la mine a définitivement mis en péril le village ouvrier, évacué vers la ville voisine de Calama. La direction de la mine a saisi l’occasion pour faire de cette mesure d’urgence la nouvelle façon de vivre et de travailler : désormais, les familles vivent à Calama et les tous les jours les cars de ramassage mènent les ouvriers sur le lieu de travail. Cette séparation entre lieu de vie et lieu de travail est encore plus poussée, dans les mines de l’arrière-pays d’Antofagasta, au point qu’une nouvelle organisation a vu le jour. Comme les mines sont à 3500 voire 4000 m d’altitude, la Compagnie minière privée de Doña Inès de Collahuasi, a décidé la construction d’hôtels miniers d’altitude, où les équipes de mineurs séjournent en alternance quatre jours d’affilée. Des bus les transportent de chez eux sur les lieux de travail. Les familles vivent sur la côte dans la ville de Iquique, dans des maisons louées à l’entreprise mais pas exclusivement. La construction de ces hôtels a été confiée à un atelier d’architectes, Correa3, établis à Santiago de Chile. Leur catalogue, depuis une quinzaine d’années, présente déjà de nombreuses réalisations de ce type. La première, et la plus spectaculaire sans doute, est l’hôtel des mineurs de Doña Inès de Collahuasi. La dissociation entre lieu de vie et lieu de travail est consommée et la mine ne prend plus en charge la vie du mineur hors du travail.

Par contre, les traits de la ville-usine se maintiennent encore en Russie ouralienne, comme c’est le cas à Severski (Oural), où l’on fabrique des plaques de cuivre par électrolyse. L’usine, immense, est le centre économique et stratégique de la ville-usine. Pour les habitants, elle est la pourvoyeuse et la bienfaitrice, comme « autrefois ». Ils sont fiers de ses performances et lui savent gré de ses bienfaits. Plus loin, en Sibérie, des villes-usines ont été construites en situations climatiques extrêmes et ont pu être abandonnées quand la ressource qui les avait suscitées, s’est tarie.

Conclusion

La ville-usine et le village ouvrier d’initiative patronale forment un patrimoine considérable que l’on commence tout juste à valoriser. Ce sont des architectures de pouvoir, celui de l’industriel fondateur ou celui de l’Etat-patron. Elles témoignent des procédures d’industrialisation, que ce soit sur le carreau des mines ou près des grands barrages hydroélectriques. Leur date de création et la durée de leur fonctionnement est un indicateur quant à l’entrée en modernité et au développement des pays qui les édifient. Les plans adoptés, les architectures des maisons suivant une hiérarchie savante, sont autant d’indicateurs de la société qui est impliquée dans une production donnée. Leur politique sociale pourrait être taxée de manipulatoire et les habitants en avaient conscience, tout comme du fait d’être protégés dans leur quotidien et assurés de leur travail. Beaucoup de ces sites ont été défigurés par les accessions à la propriété qui ont conduit à des ajouts et des transformations qui dénaturent l’effet d’ensemble et rend illisible le projet initial.

Aujourd’hui, la conversion de ces friches industrielles, ou pour mieux dire de ces villes-usines sans tête, est difficile et hasardeuse. Plus le site est finalisé et de grande taille, plus il est éloigné des grandes agglomérations et plus sa réutilisation est difficile. Cependant la destinée d’un site comme celui de la chocolaterie Menier à Noisiel, complètement abandonné puis récupéré par Nestlé pour en faire le siège social de la marque en France, laisse espérer une solution d’avenir pour des sites au passé prestigieux, qui pourraient être sélectionnés pour leur représentativité et leur authenticité. En France, le classement comme Monument Historique est déjà un signe de reconnaissance. Il a permis de sauver littéralement de nombreux sites industriels de la destruction, c’est un premier pas.

Sources imprimées : la presse

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